Souvenirs de Shawinigan Falls
Les souvenirs sont de fugitives pensées habitant nos neurones, et nous jouent parfois des tours. Si on laisse un tiroir ouvert, il est facile d'y fouiller, mais on perd parfois la clé des tiroirs fermés...
Je ne me considère pas comme un être exceptionnel mais j'ai vécu au sein de plusieurs univers et groupes sociaux au long de mon existence, en ayant des intérêts aussi multiples que divers et en déménageant plus souvent qu'à mon tour. Nos activités sociales nous amènent souvent à faire de nouvelles rencontres et je connais ainsi des gens dans diverses sphères et groupes d'âges, et dans diverses régions géographiques du Québec.
Ces rapports que j'entretiens avec les gens que je côtoie quotidiennement disparaissent parfois sous la masse des souvenirs, et ressurgissent brusquement, sporadiquement, lorsqu'un élément les évoque. Cet élément peut être un mot, une image, une odeur, une impression...
Je me suis souvenu cet après-midi du temps où je courais les tavernes de Shawinigan, désoeuvré et assoifé, alors que je n'avais même pas l'âge légal pour y entrer. Mon hâvre de paix houblonneuse préféré était la taverne Chez Rosaire, non loin de la rue St-Marc, située au coeur d'un quartier défavorisé - il est difficile de trouver autrement, à Shawinigan, depuis que le taux de chômage a chuté dramatiquement au profit d'une armée d'assistés sociaux. Il n'y a plus d'emplois, mais les gens s'accrochent malgré tout.
Chez Rosaire, donc, plusieurs avantages s'offraient au consommateur averti; le bâtiment communique avec les cuisines du déli de la rue St-Marc, et on pouvait donc se faire "livrer" la nourriture de notre choix tout en savourant le spécial du mercredi, le "boc à 1$". Bière en fût : 6$ le pichet. Serveur : chemise blanche, coupe Longueuil, moustache. Arachides non écaillées gratuites !!! Juke-box infernal.
Il y a depuis peu un écran géant - en fait, depuis longtemps, mais il ne m'est jamais arrivé d'aller traîner là en plein match de lutte, je n'ai donc jamais vu le déploiement de son plein potentiel - servant principalement à distraire les clients solitaires qui dorment, la face dans le Nouveliste (le quotidien de Trois-Rivières), devant leur pichet Clamato / bière en fut, auquel ils ajoutent un soupçon de sel, bien entendu.
J'ai commencé à fréquenter la "place" à 16 ans, et à mon anniversaire, deux ans plus tard, j'ai été avec Bobby Gagnon voler un pingouin "gossé" en bois dans un dépanneur non loin. Tout le monde l'a signé, on l'a trempé dans nos pichets, on a accidentellement cassé un de ses bras, et Bobby lui a fait un "plâtre" avec du papier de toilette. Je m'en suis récemment réparti mais je me souviendrai toujours des commentaires réjouissants qui l'ornaient, entre autres ceux d'un certain "Sébas" qui avait écrit : "P.A., t'es un vrai straight edgeeeeee".
Quelqu'un m'avait mentionné qu'on avait droit à un boc gratuit si c'était notre anniversaire, alors je suis allé voir notre sympathique serveur moustachu pour vérifier la chose. Il m'a confirmé la tradition en exigeant de moi une pièce d'identité avec ma date de naissance, et lorsqu'il s'est aperçu que je devenais majeur ce soir là, il m'a regardé d'un air incrédule.
J'allais aussi quelquefois au Campus, un bar plus "dance" surtout fréquenté par des étudiants du Cégep de Shawinigan et des joueurs de hockey des Cataractes (c'est une maladie occulaire, mais aussi un mot pour désigner des "rapides" formés par une dénivellation du terrain sur lequel court une rivière).
Le Campus est situé sur les berges de la rivière Saint-Maurice, qui se jette dans le St-Laurent au niveau de Trois-Rivières - en fait, eh oui, c'est l'une de ces fameuses "trois rivières", et j'imagine que le Saint-Laurent en est une aussi, j'ignore cependant quelle peut être la troisième ? Un soir de désoeuvrement où on m'avait encore une fois expulsé du Campus et où je n'avais pas trouvé de demoiselle à tripoter dans un coin, Bobby et moi sommes allé finir nos bières sur la berge. L'eau du Saint-Maurice est assez douteuse, la rivière ayant pendant de nombreuses années servi à transporter des billots de bois en provenance du nord de la Mauricie (La Tuque et au-delà), acheminés en ville grâce au flux nord-sud naturel des eaux, pour être transformés par la Belgo et la Stone Consolidated en pâte à papier. Industrie qui, avec l'électricité d'un des tout premiers barrages hydro-électrique au Québec et, plus tard, l'aluminium de l'Alcan, ont constitué les principaux pôles d'activité économique et, avec l'arrivée d'un marché ouvert et la construction d'autres barrages, a précipité la chute de l'équilibre social et commercial du coin.
La contemplation des flots noirs de l'eau mouvante de la rivière nous a fait remarquer un canot amarré non loin, et dans notre stupeur alcoolisée nous avons décidé de "l'emprunter" pour aller se ballader sur les flots.
C'est au milieu de la rivière, avec une Molson Ex chaude entre les mains, dans le silence de notre dérive, que j'ai compris qu'il ne servait à rien de vénérer le passé comme si c'était un temple sacré, et qu'insister pour demeurer sur les lieux de ma naissance, aussi pittoresque soient-ils, n'était peutêtre pas la meilleure chose à faire.
1 Comments:
Merci pour cette autre chronique mauricienne. Tu as raison,il ne faut pas vénérer le passé et sombrer dans la nostalgie, mais c'est quand même agréable que tu m'amène faire un tour de temps à autres aux pays des usines de pâtes et papiers à une époque où je te connaissais pas.
10:42 PM
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