La gestion du temps, ça n'est plus comme avant

Je ne sais pas ce qui a changé, au juste, depuis que nous ne nous réunissions plus autour du feu pour fumer la pipe dans une chaise berçante, après une difficile journée de travail, pendant que nos épouses - elles s'appellent toutes Henriette ou Géraldine - nous massent les pieds.  Certains regrettent cette époque, d'autres moins.

Avant que vous ne vous mettiez à faire des comparaisons, je ne suis pas le Vieux Médée.  Vous souvenez-vous de ce "magazine" un peu trop évidemment catholique - RND, pour "Revue Notre-Dame" - jadis distribué dans les Caisses Populaires Desjardins ?  Il y avait toujours, vers la fin, une "chronique" signée "Moi, le Vieux Médée" qui distillait une sagesse de vieux paysan calme aux valeureux lecteurs.  J'émets certain doutes sur l'existence réelle de ce "Médée", qui est probablement une façade pour un auteur fantôme.  De plus, ma mère m'assure que le magazine existe toujours, mais il y a un bail que je ne l'ai pas croisé au guichet automatique !

Nonobstant, donc, le franc parler d'un vieillard qui nous servait des leçons de vie précieuses, certes, mais manquant singulièrement de subtilité, je remarque que la variable temporelle n'est plus du tout perçue de la même façon qu'à l'époque d'Ovila Pronovost.  Si un travailleur manuel pouvait jadis consacrer jusqu'à douze heures de sa journée à une seule tâche, dépendemment de la façon dont il gagnait sa vie, il ne faisait rien d'autre une fois qu'il rentrait chez lui.  Jasette avec le voisin, ébouriffage de cheveux de ses treize rejetons, et dodo.

L'homme moderne n'est plus si simple.

De nouvelles préoccupations ont émergé avec ce que l'on appelle "le progrès", et la plupart d'entre elles sont de nature culturelle. On les appelle des "hobbies". Peut-être que, rétroactivement, cela ne paraîtra plus si importants à nos descendants et qu'ils se demanderont, en contemplant la dérisoire "oeuvre" de notre vie, à quoi on voulait bien en venir...

De nos jours, donc, il n'est plus question de mono-activité pour peupler notre journée. Il existe bien entendu des contraintes sociales, mais contrairement à ce que le professeur de l'UQÀM qui m'enseigne le cours "Durkheim et le lien social" (un peu pénible, soi dit en passant) tentait de nous faire croire, nous ne sommes pas "contraints" de travailler, regarder la télé et dormir.

Je plains les élèves qui ont, suite à cette déclaration, hoché la tête en murmurant "C'est vrai..."

Sur ce, je pars pour ma séance de gym quotidienne après avoir updaté mes trois blogues, ensuite de quoi j'irai passer quelques heures au bureau pour gagner un peu de fric, en répondant à mes courriels et en terminant un travail de mi-session, et ensuite j'ai un examen d'architecture. Ce soir, après un happy hour au Club Satan, j'irai danser dans un afterhour et je parviendrai quand même à être au bureau à 9h30 bien tapantes après avoir observé le soleil se lever du haut du Mont-Royal en déjeunant avec mon avocat.

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Observation bureaucratique : comme vous le savez sans doute, je travaille dans un centre d'appels.  J'ai observé un phénomène inquiétant, dernièrement : le coefficient de retardés augmente sensiblement avec les semaines et les mois.  Habituellement, le pourcentage d'appels d'idiots demeure relativement stable, mais il a récemment commencé à enfler - jusqu'à la boursouflure - d'une façon tout à fait alarmante.  Est-ce que les gens ont du mal à se débrouiller avec la vie et éprouvent le besoin de se faire dicter des instructions ?  Faudra-t-il dorénavant inclure des pictogrames sur les emballages de rouleaux de papier de toilette ?

Tremblez, populace, car une ère nouvelle se développe : l'ère de la loque !  Manque d'autonomie, emploi incorrect de toute syntaxe, structure et phrasé déficients, gestion pitoyable des émotions & réactions : l'homme nouveau ne marchera plus, il rampera en bavant !